VICTIME DE HARCELEMENT MORAL … OU SIMPLE MAL-ETRE AU TRAVAIL? / Par Gabrielle Fingerhut - Avocat au Barreau de Paris

Il n’est pas toujours aisé de « diagnostiquer » le harcèlement moral.

Et même si les « victimes » de ce qui s’apparente à un cas de harcèlement moral peuvent sincèrement ressentir peur et angoisse à l’idée de retourner travailler, et de se retrouver face à leur « harceleur », même si elles tirent la sonnette d’alarme auprès de leur hiérarchie ou DRH … le harcèlement moral n’est pas nécessairement caractérisé.

Ainsi, même si un médecin traitant peut arrêter un salarié perturbé par son travail pour autant, le harcèlement moral n’est pas toujours qualifié.

QU’EST-CE QUE LE HARCÈLEMENT MORAL ?

Le harcèlement moral est à la fois sanctionné sur le plan civil par le Code du travail et sur le plan pénal par le Code pénal.

La définition donnée par le Code du travail (article L.1152-1) est la suivante :

« Aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel ».

Ce qu’il faut retenir principalement de cette définition

-       il doit y avoir plusieurs agissements pour que le harcèlement moral puisse être caractérisé : un fait unique ne suffit pas ;

-       il n’est pas nécessaire que le harceleur soit le supérieur hiérarchique du salarié pour que des faits de harcèlement moral soient caractérisés ;

-       le juge ne peut ajouter aucun élément à cette définition. Ainsi, par exemple, le fait que le salarié se mette à l’écart de lui-même ne peut pas être une circonstance atténuante du harcèlement moral (Cass. Soc. 12 février 2014, n°12-23.051) : aucune circonstance atténuante ne peut réduire la gravité du comportement du harceleur.

La définition donnée par le Code pénal (article 222-23) est celle-ci :

« le fait de harceler autrui par des propos et des comportements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel est puni de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende ».

QUELLE EST LE DIFFÉRENCE ENTRE LA RESPONSABILITÉ PÉNALE ET LA RESPONSABILITÉ CIVILE EN CAS DE HARCÈLEMENT ?

 Un Conseil de prud’hommes va condamner la Société qui emploie le harceleur à des sanctions civiles :

- Des dommages et intérêts sur le fondement pur et simple des faits de harcèlement moral ;

- Des dommages et intérêts en cas de départ de l’entreprise par le salarié à cause du harcèlement - le préjudice moral en cas de harcèlement étant un préjudice distinct ;

- Le salarié peut demander sur ce fondement la nullité de son licenciement et a le droit dans ce cas à sa réintégration ;

- La nullité des sanctions prononcées à l’encontre du salarié ;

- La nullité des mesures discriminatoires.

Au pénal, le harceleur risque une sanction pénale :

- une condamnation à un emprisonnement avec surcis ;

- une condamnation à un emprisonnement ferme avec des modalités différentes selon la décision du tribunal ;

- une condamnation à verser des dommages et intérêts en réparation du préjudice financier et/ou moral.

- une amende.

Il est donc possible d’attaquer tant au pénal que devant une juridiction prud’homale.

Toutefois, si le harcèlement moral n’est pas reconnu au pénal, il ne sera pas possible de le faire reconnaître devant un Conseil de prud’hommes. Ainsi, la stratégie est essentielle en la matière, ainsi que le choix des juridictions à saisir.

COMMENT DISTINGUER LE HARCÈLEMENT MORAL D’UN MANAGEMENT DICTATORIAL OU VEXATOIRE ?

Il convient de distinguer des faits de harcèlement moral de faits relevant  d’un management sévère, voir dictatorial, tous deux non constitutifs de harcèlement moral.

Voici quelques exemples classés par thèmes pour y voir plus clair.

Dans la plupart des cas plusieurs de ces faits doivent être réunis pour qu’un harcèlement moral véritable puisse être qualifié par les magistrats/conseillers prud’homaux .

 Marie-Pezé, Docteur en psychologie, Consultante en souffrance au travail au Centre d’accueil des soins hospitaliers (CASH) de Nanterre et expert près de la Cour d’appel de Versailles a détaillé une liste purement indicative des pratiques organisationnelles pouvant être dangereuses[1], et que l’on peut retrouver dans des cas réels reconnus.

Ces indices sont répertoriés selon les thématiques suivantes :

-       La relation quotidienne entre employeur et salarié ou entre collaborateurs :

o   Tutoyer sans réciprocité ;

o   Couper la parole ;

o   Parler fort et de manière menaçante ;

o   Ne pas dire ni bonjour, ni au revoir et ne jamais remercier ;

o   Refuser toute communication verbale, tout échange oral, discussion ou réunion (ne communiquer que par mail, téléphone, sms, Post-it ou message papier) :

o   Critiquer l’apparence physique (vêtements, bijoux, taille, poids, maquillage, cheveux, etc. ) ;

o   Proférer des injures publiques (propos sexistes, racistes …).

-       L’isolement d’un salarié :

o   Changements d’horaires du déjeuner par une équipe, mettant un individu à l’écart ;

o   Ne pas informer volontairement et systématiquement une personne de la tenue de réunions auxquelles elle assistait avant et qui relèvent de sa qualification et de son poste de travail ;

o   Demande aux autres salariés ne plus parler avec une personne en particulier ;

o   Création de clans : dureté avec certains et avec d’autres toujours identiques, manifester beaucoup plus de laxisme et de patience ;

o   Répartition inégalitaire des tâches de manière injustifiée ;

o   Stigmatisation, humiliation publique d’un salarié devant son équipe.

-       Pratique persécutrices :

o   Surveillance des salariés ;

o   Vérification des tiroirs, casiers, poubelles … ;

o   Contrôle des conversations téléphoniques privées ou professionnelles, des emails … ;

o   Contrôle de la durée des pauses, des absences, des retards ;

o   Contrôle des conversations entre collègues ;

o   Obligation de laisser la porte du bureau ouverte.

-       Pratiques punitives :

o   Refus réitéré et non motivé de demandes de formation ;

o   Incohérence des procédures d’évaluation professionnelles ;

o   Notes de services systématiques visant toujours le même salarié ;

o   Affectation autoritaire dans un service ;

o   Vacances (congés) acceptés ou refusés au dernier moment ;

o   Utilisation systématique de courriers recommandés pour communiquer avec le salarié.

-       Injonctions paradoxales :

o   Faire refaire une tache bien exécutée, parfois plusieurs fois et parfois pour revenir à la première version ;

o   Corriger des fautes inexistantes ;

o   Déchirer un rapport ou une note ou des documents tout juste réalisés, dire qu’un tel document est inutile, alors qu’il est réalisé sur demande ;

o   Donner des missions impossibles (trop de travail, délais trop courts, etc. ) ;

o   Fixer des objectifs irréalistes (en les augmentant d’un coup, en les changeant fréquemment) ;

o   Donner des consignes contradictoires ou peu claires pour pousser à la faute ;

o   Donner un rendez-vous tôt le matin ou tard le soir au salarié et le faire attendre sans lui donner de travail ni se présenter.

-       Faire comme si le salarié n’existait pas, nier son existence :

o   Supprimer ses tâches ou son poste de travail sans revenir ni expliquer pourquoi ;

o   Priver un salarié de bureau, de téléphone, d’ordinateur et vider ses armoires ;

o   Effacer un salarié de l’organigramme, des papiers à en tête ou le priver de cartes de visite.

En revanche, ne constituent pas des actes de harcèlement moral …

-       L’exercice légitime du pouvoir disciplinaire :

o   Dès lors que la sanction est juste et proportionnée, l’exercice du pouvoir disciplinaire est juste et ne saurait être considéré comme du harcèlement moral.

Toutefois, l’envoi d’avertissements infondés et réguliers par lettre recommandée avec accusé de réception, la systématisation de rappels à l’ordre pour de retards de 5 minutes quand le salarié réalise souvent des heures supplémentaires, peuvent être des indices d’un harcèlement.

-       des mesures temporaires nécessaires à la permanence du service ;

-       des demandes de travaux et tâches prévues par le contrat de travail, la fiche de poste ou classiques dans le cadre d’un poste de travail particulier ;

-       des décisions objectives et non discriminatoires concernant l’évolution professionnelle d’un salarié (comme à titre d’exemple, l’absence de promotion objectivement explicable) ;

-       une mutation pour raisons de politique de la société quand le contrat prévoit une clause de mobilité ;

-       des consignes fermes et une dureté d’expression de l’employeur ;

-       des critiques récurrentes mais objectives faites à l’ensemble des salariés.

QUE FAIRE EN CAS DE HARCÈLEMENT MORAL PRÉSUMÉ ?

Toutes ces pistes proposées sont au choix ou cumulables selon les rapports entretenus par le salarié avec sa hiérarchie et la dangerosité présentée par la situation pour la santé du salarié notamment, il convient d’alerter, à l’écrit si possible pour se ménager une preuve :

o   l’Inspecteur du travail ;

o   les représentants du personnel s’il y en ;

o   le ou la DRH ;

o   le supérieur hiérarchique ;

o   un avocat.

A cet égard il est d’autant plus important de se ménager des preuves qu’une immunité protège le salarié qui dénonce des faits de harcèlement sexuel ou moral. De fait, celui-ci ne peut être valablement licencié pour avoir dénoncé ces faits et ce, même si le harcèlement n’était pas avéré. 

En outre, si l’employeur optait pour un licenciement « déguisé » pour un motif fallacieux, la preuve écrite de la dénonciation de faites de harcèlement moral constituerait déjà  un indice du licenciement illicite.

Toutefois, la protection du salarié  disparait en cas de dénonciation calomnieuse ou de diffamation, si les faits révélés s’avéraient faux et si les conditions légales sont réunies pour caractériser l'une ou l'autre de ces situations.

En tant qu'employeur, il est nécessaire de procéder à une enquête afin de s'assurer de la véracité des propos du salarié dès lors que des faits de harcèlement sont dénoncés.

Ainsi le Comité d'Hygiène et de sécurité (CHSCT) doit être informé en urgence pour qu’une enquête soit diligentée.

En l’absence de CHSCT, une enquête doit également être diligentée avec l’aide d’intervenants extérieurs qualifiés, ou à tout le moins avec les délégués du personnel.

COMMENT PROUVER LE HARCÈLEMENT MORAL ?

Le salarié a seulement pour obligation d’établir la matérialité de faits précis permettant dans leur ensemble, de caractériser des faits de harcèlement moral (Cass. soc. 15 novembre 2011, n°10-10.687).

Quant au juge, celui-ci a pour obligation de statuer sur l’ensemble des faits.

Cela signifie que le juge ne peut laisser aucun élément de côté et qu’il a l'obligation d'examiner chaque preuve et indice apporté par le salarié avant de se prononcer sur la qualification ou non de harcèlement.

Dans cet équilibre de la preuve, c’est à l’employeur de démontrer que les faits en présence sont justifiés objectivement.

 QUE VAUT UN CERTIFICAT MÉDICAL COMME PREUVE DE HARCÈLEMENT ?

 

En ce qui concerne un certificat médical établi par un médecin traitant, et sa valeur probatoire, la jurisprudence est fluctuante.

Il est à cet égard manifeste que la Cour de cassation n’affirme aucun principe sur ce point.

De fait, la Coure de cassation retient en novembre 2015, qu’un salarié ayant subi une dégradation de son état de santé puisqu'il présentait une dépression constatée par son médecin de ville, pouvait parfaitement être victime de harcèlement moral, et ce quand bien même le médecin du travail n'avait pas retenu de danger immédiat pour la santé de ce dernier lors de sa visite médicale (Cass. soc. 5 novembre 2015 n°14-14.683).

Ainsi, c’est le faisceau d’indices qu’il convient de prendre en compte pour déterminer si les faits présentés laissent résumer une situation de harcèlement moral et kes documents médicaux hors médecine du travail font partie de ce faisceau d'indices.

En l’espèce, huit attestations au soutien des allégations du salarié, dont certaines étaient circonstanciées sur la pression qui lui était imposée ainsi que sur les propos humiliants tenus de manière répétée à son égard par sa Directrice, et la dégradation de son état de santé collatérale, permettaient notamment  de présumer l'existence d'un harcèlement.

Pourtant, deux autres arrêts du 23 juin (Cass. Soc. 23 juin 2015, n° : 13-25823) et du 18 novembre 2015 (Cass. Soc. 18 novembre 2015 n°: 14-17537) pouvaient laisser penser le contraire.

Ces arrêts affirmaient que les certificats médicaux établissant la dégradation de la santé d’un salarié ne sont pas des éléments suffisants pour présumer l’existence d’une situation de harcèlement moral à eux seuls.

Que déduire de tout cela ?

Il convient d'en conclure que :

-  la rédaction du certificat médical du médecin de ville constatant la dégradation de l’état de santé est primordiale. Celui-ci doit, dans l’idéal, constater le lien entre la dégradation de la santé et les conditions de travail du salarié ;

 -  le constat d’inaptitude par le médecin du travail a une valeur probante supérieure à celle du certificat médical établi par le médecin de ville ;

- en tout état de cause, il convient de présenter d’autres indices du harcèlement moral : attestations établies par d’autres salariés (témoignages établis selon un formulaire CERFA spécifique), courriels, courriers, sms, messages téléphoniques, plainte à l’inspection du travail, aux délégués du personnel, au CHSCT, au médecin du travail, photographies (de bureaux exigus, d’absence de moyens – plus de téléphone, d’ordinateur), organigrammes desquels le salarié a été supprimé etc.

 

[1] Le Lamy Social 2016 – 3922 exemples d’agissements prohibés